Il faut sauver le vestiaire. Un voyage diplomatique va tout arranger. Il met une perle rare sur le chemin de Sa Majesté. Une femme courageuse, discrète, solaire, une self-made-woman comme les aime Elizabeth II, signe la reprise en main.
Avant d’intégrer le sérail de Buckingham, Angela Kelly officie en tant que gouvernante dans la résidence de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin. En 1992, une réception est donnée en l’honneur du couple souverain. La reine et le prince consort couvrent un séjour en Allemagne. Son époux veut en savoir plus sur l’identité des invités. Il questionne Mrs Kelly, qui a son grand dam, ne souffle mot. Une charte de confidentialité la lie à son employeur.
– Vous ne le direz pas même à Sa Majesté ? insiste le duc d’Edimbourg. La reine se souviendra de la discrétion de Mrs Kelly. Peggy Hoath, l’habilleuse attitrée prend sa retraite. Angela reçoit un coup de fil du palais. Les dés sont jetés. Sa vie bascule lorsqu’elle foule le tapis rouge menant à la suite royale. Cette personne de confiance, née dans les quartiers populaires de Liverpool, divorcée et mère de trois enfants, décroche le job de rêve. Elle va gravir les échelons pour devenir assistante personnelle, habilleuse et gestionnaire de la garde-robe royale, accessoires et bijoux compris.
Elizabeth II met les choses au clair. Elle explique à sa future conseillère qu’elle n’aime que le style intemporel, déteste tout ce qui est commercial et tarabiscoté. Après l’entrevue, la nouvelle recrue fait un passage obligé vers la salle de repassage et le stock tissus. Petit à petit, elle prend ses quartiers. Ce n’est pas du pudding car les courtisans la surveillent de près. Mais son professionnalisme finit par payer. Elle prend du galon et devient l’éminence grise de Sa Majesté. Ma’am apprécie sa franchise et se fie à son bon goût. Elle impose sa présence aux essayages. Les deux femmes n’ont qu’à se regarder pour se comprendre. La conseillère en chef ne masque pas sa réprobation quand une pièce lui déplait. Et tant pis si elle s’attire les foudres des fournisseurs de la couronne.
L’habilleuse tient à jour le cahier des atours. Elle s’excuse de ne pas avoir un bon coup de crayon. La reine la met à l’aise en lui expliquant que si elle avait voulu une artiste, elle l’aurait engagée sur le champ. Dans la vie de tous les jours, Angela dépose deux croquis. La reine laisse celui qu’elle veut porter sur sa coiffeuse et met l’autre par terre. La styliste en chef n’a pas été recrutée pour révolutionner le style de Sa Majesté. Elle a carte blanche pour le faire évoluer sans trop le dénaturer. Le temps qui passe inflige la punition au corps. La silhouette se tasse, le dos se courbe. Mais Angela trouve la parade. Elle redonne du peps, lifte en en douceur, taille plus près du corps, ajuste sans mouler, prône les couleurs dynamiques. Plus la reine avance en âge, plus elle porte des tons voyants. Sous son impulsion, les chapeaux prennent de la hauteur. Les calottes plus hautes font gagner les centimètres grignotés par l’âge. Kelly affûte la carrure pour mieux rehausser la silhouette. Elle fait ajouter des pattes d’épaulette sur un manteau rouge, propose de raccourcir légèrement les ourlets et impose les lignes droites. Pourquoi se priver de ce coup de jeune ? La grand-mère du prince William conserve une belle ligne et des jambes en bon état. Angela lui murmure à l’oreille les feuilles d’érables et les 2000 trèfles rebrodés sur une robe blanche en l’honneur d’événements de premier plan (discours au Canada, allocution royale à Dublin). C’est encore elle qui recommande une robe saumon (nuance qui ne figure pas sur les drapeaux des pays représentés aux Olympiades de 2012) pour le tête-à-tête avec James Bond.
Sous sa houlette, de subtiles correspondances s’établissent. La conseillère ès mode a le souci du détail. Aussi fait-elle doubler les pardessus couleur de bocal à bonbons de la même étoffe que les robes mises en dessous. Elle convoque les imprimés. La reine d’Angleterre signe le message de la cérémonie d’ouverture des Jeux du Commonwealth de Birmingham dans une soierie chamarrée. D’autres robes unies sont taillées dans le tweed et le crêpe de laine. Le dressing royal décline les quatre saisons de Vivaldi. Les matières intermédiaires conviennent à l’automne, les isolantes, laineuses, les cols protecteurs, écharpes douillettes et chapeaux chauds sont de rigueur en hiver ; les tissus plus vaporeux font les beaux jours. Dans un souci de confort absolu, plusieurs doublures tapissent les tenues d’apparat incrustées de pierreries afin de ne pas incommoder la reine. Les couleurs aussi jouent la valse saisonnière : le bleu royal, le vert et le violet profond sont de mise sous le ciel gris; les nuances macaron sont réservées au renouveau.
Notre recycleuse royale tient à ce que ses vêtements soient réactualisés afin de pouvoir les remettre. Une pièce devient familière après avoir été vue trois fois sur elle. Sa styliste est chargée de noter le nombre d’occasions où ils ont été portés. Rien n’empêche la souveraine de les endosser en privé. La favorite a l’œil absolu. Elle anticipe également les situations cruciales. En bonne catholique, elle fait exécuter deux ensembles, l’un marine, l’autre noir, ainsi qu’un chapeau tambourin –le fameux tambourin cher à Jackie O-doté d’un voile amovible pour l’entrevue au Vatican. Le cabinet soutient que la reine portera une tenue colorée mais l’habilleuse campe sur ses positions. A la grande Mosquée d’Abu Dhabi, elle fait installer un paravent afin que la reine se déchausse à l’abri des médias. Sur la toque dorée spécialement conçue pour l’occasion, elle drape une écharpe or. A Kuala Lumpur, elle évite le pire. Sachant que Sa Majesté prononce un discours et qu’elle sera filmée sous tous les angles, elle s’inquiète à propos du chapeau coquillage qui ne l’avantage pas. En conseillère avisée, elle recommande de le mettre derrière-devant. Les exemples semblables abondent. Chaque fois, Super Angela a la solution.
La reine dépêche sa dame de confiance auprès de la duchesse de Cambridge. Elle la lui recommande pour gagner en majesté et s’entendre sur une longueur à même de flatter sa silhouette. L’épouse du prince William préférait, fut un temps, s’habiller plus court. Ses descentes d’avion ravissent les photographes : Kate ne leste pas ses ourlets. Ses jupes s’envolent. On appelle cela “les moments Marylin”, allusion à la fameuse scène du film Sept ans de réflexion.
Qu’est ce qui nourrit l’imagination de Mrs Kelly ? L’inspiration est partout. Dans les corridors de Buckingham Palace, sur une faïence, un tableau de maître, dans les moulures d’un salon. Sur un manteau bleu ciel, elle rapporte une dentelle blanche inspiration porcelaine de Wedgwood.
A l’instar de sa patronne, elle est économe et regarde toujours du côté des soldes quand elle achète les coupons. Elle trouve son bonheur chez Joel&Sons. Les étoffes subissent un véritable crash test. Mrs Kelly les inspecte sous toutes les coutures. Elle les parcourt, les triture, les froisse, les tord, pour en vérifier la tenue et la qualité. Elle n’achète que celles qui ne se froissent pas et dessine les croquis dans la foulée. Les esquisses et le tissu en main, elle rencontre la reine et lui fait plusieurs propositions. Trois pour chaque étoffe. L’entrevue ne dure pas plus d’une heure.
Son livre intitulé « The other side of the coin », publié en accord avec la Maison Royale, raconte son quotidien de styliste. Ecrit avec le cœur, il lève le voile sur les coulisses du palais et dresse un portrait inédit de la souveraine. L’auteure l’a aussi truffé d’anecdotes. Le lecteur s’invite aux essayages durant lesquels fusent les éclats de rire. Drapée dans un jacquard xxl, Elizabeth II attend le verdict. Sa fidèle assistante tranche : « cela ne vous va pas du tout » « C’est le mauvais choix ». La reine hésite encore. Le prince Philip est toujours de bon conseil mais il est absent. Le hasard fait bien les choses. Il vient à passer par là. Hilare, il s’exclame : « est-ce le nouveau tissu du sofa ? » La messe est dite.
Une modéliste et une modiste œuvrent au département couture du palais. La fée du dressing royal n’est pas contre l’idée d’accueillir d’autres références du savoir-faire anglais. Une des dames de compagnie de la souveraine lui recommande de prospecter dans Motcomb Street. L’occasion pour Angela de partir à l’aventure, incognito. Elle raye aussitôt de sa liste les boutiques où le personnel la snobe. Si seulement ils savaient qui est son employeuse, pense-t-elle en tournant les talons, après s’être heurtée à un accueil glacial. Un magasin fait son bonheur. Les vendeuses sont charmantes, les créations dignes d’être portées par la plus célèbre tête couronnée. Bienvenue chez Stewart Parvin ! Angela et Stewart forment le binôme le plus couture au service de Sa Majesté.
Un jour, la reine lui fait une demande particulière. Elle souhaite être photographiée de manière moins formelle. Pourquoi ne pas innover en termes de portrait de cour. La plupart des photographes l’ont immortalisée dans une posture institutionnelle, drapée dans le faste et le manteau d’hermine. Son assistante lui suggère de poser dans une de ses créations : une robe touche éclat en tweed blanc. Dans la salle du trône réservée aux audiences et aux investitures, Elizabeth Regina fend l’armure, révélant au photographe Barry Jeffery une autre facette de sa personnalité : l’humour. Elle cherche la bonne attitude, prend appui sur ses hanches mais n’est pas convaincue du résultat. Plutôt que de placer les bras le long du corps, elle essaye de mettre les mains dans des poches invisibles. Ce serait parfait si la robe en avait. Qu’à cela ne tienne ! Dans les chûtes Angela en coud deux. Le résultat est bluffant. Les planches contact représentent une souveraine moderne, comme rajeunie de l’intérieur. Le portrait fait le tour du monde. Il rompt avec la galerie des photos de cour mettant en scène un monarque au visage grave, accusant le poids de la couronne. C’est un témoignage visuel inédit, un élixir de jeunesse faisant dire à la chanteuse Rihanna qu’elle trouve la reine « grave cool ».
Au tour d’Angela de présenter un projet qui lui tient à cœur. Et si la souveraine remettait un trophée de mode à un créateur britannique, afin de renforcer la visibilité du made in UK. Validé ! Elle prend ses crayons et dessine l’oscar. Une autre idée germe dans son esprit qu’elle va transformer en une opération de communication historique. En tailleur inspiration Chanel, son sac emblématique posé par terre, la reine s’assied au premier rang, lors de la semaine de la mode londonienne 2018. Elle assiste à la collection Richard Quinn, entourée de sa fidèle conseillère et de la papesse Anna Wintour. Sa Majesté ne boude pas son plaisir. Elle pousse des oh et des ah tout au long du défilé. Quand il apprend sa présence, le créateur coiffe tous ses mannequins d’un foulard en soie.
Dernier épisode : Le sacre du grand âge
8 responses to “La réhabilitation signée Angela”
Merci Lynda pour votre magnifique article ! Le livre d’Angela Kelly sortira-t-il un jour en français ? Bonne journée estivale !
Bonjour Martine, Pas de VF pour le moment.
Amitiés
J’ai lu avec plaisir chacun de vos articles mais je dois avouer que celui-ci l’a encore plus passionné que les autres! Mercu Lynda!
Très chère Lynda. Très judicieux de votre part d’avoir mis Miss Kelly en avant. C’est une grande diplomate. Merci pour ce très bel article. Belle journée estivale
Merci Lynda! J’adore ces photos -surtout la 1ère- où la monarque, toujours chic, s’autorise un léger déhanché.
Quel plaisir de vous lire! J’apprends beaucoup sur la personnalité de notre Reine. Et comment sa Majesté a fait pour deviner exactement tous les talents de Mme Kelly ? Décidément, le destin a réuni ces deux dames pour notre plus grand bonheur❣️ merci Lynda❣️
Formidable Mrs Kelly et idée délicate de votre part, Lynda, pour l’avoir mise à l’honneur. La Reine est formidablement jeune sur les premières photos, décontractée, moderne. Bel article, fouillé, complet. Merci.
Formidable